Le Deal du moment : -39%
Pack Home Cinéma Magnat Monitor : Ampli DENON ...
Voir le deal
1190 €

Snails & Bibles - La convergence des catastrophes

Voir le sujet précédentVoir le sujet suivant
Louis-Jin Bestag

Feuille de personnage
Dôrikis :: 230
Renommée :: 0
Prime :: 0
Louis-Jin Bestag
Lieutenant
Ven 3 Mai 2024 - 9:12
Une icone en 260 pixels de large et 100 pixels de haut de votre personnage ou votre jolyroger
« Toc toc toc »

On frappait à la porte, car une porte, en définitive, s’attribuait à diverses attributions, qu’elle fut frappée n’eut alors rien de bien surprenant. Mais qui se trouva derrière elle, logé là, reclus et protégé par cette lourde et épaisse porte en bois, un individu trouva aisément matière à s’en surprendre. Car, au « Bureau des affaires escargophoniques », nul ne s’y rendait jamais. Pas à moins de s'être perdu en tout cas.

L’occupant des lieux, un brin abasourdi, et même pas mal à dire vrai, se trouvait d’autant plus désarmé de cette visite incongrue qu’il dormait. C’était dire quelles tâches rudes et harassantes accablaient les effectifs de Marine entreposés ici. Effectifs qu’on borna néanmoins à une seule âme afin que la dépense publique ne fut pas gaspillée plus que d’ordinaire.

« Toc toc toc »

L’obstination qu’on avait à vouloir le débusquer de sa tanière conduisit la drôle de bête terrée ici à envisager le pire. Pour qu’on alla le chercher ici, il fallait être au moins bizuté dans les grandes largeurs cela, à moins qu’on vînt le quémander en renfort. Envisageant déjà le pire du fait qu’il en était lui-même coutumier, l’officier en charge de cet office mal éclairé se recroquevilla lentement et lâchement derrière son bureau. Si le Q.G de West Blue était en proie à quelque attaque qui fut, la canaille en uniforme qui logeait ici ne prendrait pas part au conflit. Le simple fait qu’on alla le chercher lui suffisait en effet à témoigner de l’ampleur de la crise ; une cause perdue à n’en point douter.

« Toc toc toc »

- Lieutenant Bestag, ouvrez cette porte. Je vous entends flemmarder d’ici.

D’un pas hésitant et prudent, le lieutenant Louis-Jin Bestag, officier de son état, et de son état seulement, s’en vînt à la rencontre de l’envahisseur. Et cela, uniquement car il reconnut la voix de son officier supérieur, le colonel Zoune. C’eut en effet été mal avisé que de lui refuser pareille requête. Mal avisé et surtout, contraire au règlement.
Le bruit de deux lourds loquets furent déverrouillés d’ici à ce que la porte s’ouvrit. L’homme qui émergea de derrière le Sésame portait sur lui un air si cauteleux qu’on le crut suspect de tout. Il n’y avait alors aucune erreur possible, c’était bien le lieutenant Bestag qui venait d’ouvrir.

- Encore débordé avec vos escargophoneries à ce que je vois.

La supputation était d’autant plus légitime qu’on nommait cette tanière le « Bureau des affaires escargophoniques ».

- M’en parlez pas, j’ai tellement de travail que j’en perds le sommeil. Mais c’est si gratifiant de me savoir travailler sous vos ordres.

La réplique était alors venue sur un ton involontairement fielleux, balbutié depuis un sourire si doucereux qu’on le savait envenimé. Rien qui n’inquiéta le colonel outre mesure, celui-ci – et les autres – ne sachant que trop bien quelle anguille en uniforme se trouvait ici.

- Débordé de travail, hein. Parut-il alors s’enquérir sincèrement, prenant aussitôt un air pensif. Je vois. Ça explique tout.

- Eh bah si tout s’explique, tout s’arrange. Asséna en représailles son subalterne d’un tortueux sourire, celui-ci vacillant sous le poids de sa perfidie. Allez, au revoir colonel.

Ainsi avait-il commencé à fermer la porte, n’hésitant pas à l’appuyer davantage quand celle-ci rencontra une résistance au moment de heurter délicatement son supérieur.

- Ah ! Parut se surprendre l’invité éconduit. Au revoir lieutenant ! Avait-il repris avec bonhomie tandis qu'il quitta la piste. Au plaisir.

La porte se ferma alors derrière lui, son séjour en ces lieux s’achevant ainsi promptement. Louis-Jin n’avait pas eu le temps d’écraser la goutte de sueur venue poindre sur son front que son rempart de bois et d’acier fut enfoncé d’un généreux coup de pied.

- Ma parole Bestag ! Vous ne viendriez pas de me foutre à la porte des fois ?!

-  Sû… sûrement le vent ? Se recroquevilla lâchement Louis-Jin après une si soudaine irruption.

Ce bureau qui était le sien, alloué généreusement par la Mouette et le contribuable, avait alors été logé dans une sale perdue tout au fond du sous-sol du Q.G de West Blue ; un lieu damné que les Marines de la surface – ceux qui travaillaient, donc – appelaient « Les Abîmes ». Et de même que rien de bon ou de rassurant ne logeait jamais dans les abîmes, les offices de Louis-Jin avaient été reléguées à la même strate que les provisions d’urgence en cas de siège – dans lesquelles celui-ci tapait allègrement – ainsi que, plus loin, le dépôt d’armes et de munitions. Aussi ne plongeait-on dans les Abîmes du Q.G qu’à moins d’une guerre ou bien de s’être très franchement égaré.
Le fait est qu’en ces lieux si profondément reclus, nul ne pouvait blâmer un courant d’air alors que la moindre fenêtre éventuelle ne s’acceptait que comme un hublot ouvert sur un monde subaquatique.

Zoune, car il savait son subordonné trop insignifiant pour lui accorder un semblant de colère, soupira et passa outre l’incartade. Louis-Jin, au naturel, l’intimait à la pitié. Il fallait ainsi le voir présentement, chercher à protéger de ses bras un visage veule et suintant de scélératesse au point de l’exfolier par les rares gouttes de sueur qui lui perlaient si souvent du visage.
Tel Marine n’avait apparemment pas été jeté au ban du Quartier Général pour de mauvaises raison. À force et, de guerre lasse, le colonel avait cessé de se formaliser d’une pareille extériorisation de lâcheté manifeste.

- Je disais, « tout s’explique ». Recommençait-il après qu’on l’eut éconduit comme un malpropre.

- Ah ça oui ! Avait renchérit Louis-Jin. Ça, vous le disiez. Et avec quel allant ; quelle prestance ! Je frissonnais. Assurait alors l’officier pernicieux tout en se redressant prudemment.

Son obséquiosité était si excessive qu’on la confondait aisément avec un sarcasme. Il était, après tout, aussi coutumier de la flatterie courtisane que des remarques acides. À ne jamais trop savoir sur quel pied danser avec lui à force qu'il fut si hermétique à la franchise, l’officier subalterne était, semble-t-il, équivoque sans jamais le vouloir.

- Ne me coupez pas Bestag. S’impatientait son convive.

- Lieutenant Bestag, peut-être ? Eut le culot de réclamer un homme pourtant indigne de son rang.

À cette doléances gémie si pitoyablement, le colonel Zoune préféra faire la sourde oreille, se croyant saigner de la langue chaque fois qu’il associait un grade à pareil foutriquet.

- Je disais donc, « tout s’explique » car...

- Car vous êtes un officier avisé et sagace, mon colonel.

Interrompu par cet énième excès de flagornerie, le vieil officier laissa tomber un poing leste au sommet du crâne de son subalterne. Les compliments qu’il lui adressait étaient de toute manière si faux qu’il n’aurait pu croire à leur sincérité même en s’y efforçant.

- Arrêtez de me couper !

- Aïe ! Avait judicieusement répondu Louis-Jin au regard de la circonstance. Une punition amplement méritée, mon colonel. Merci d’avoir pris de votre temps et de votre énergie pour me l’infliger – n’empêche ça fait mal.

- Si je disais « tout s’explique »…

Le colonel, sentencieux comme un couperet, marqua cette fois une pause et accabla le lieutenant Bestag de son regard lourd afin d’être parfaitement sûr qu’il ne rebondît pas sur sa précédente réplique. Son interlocuteur était heureusement trop occupé à frotter la bosse au sommet de son crâne, les dents serrées le temps qu’il accusa la douleur.

- ...si je le disais, donc, c’est parce que le Q.G de East Blue m’a contacté.

Piqué au vif, sa nature première reprenant le dessus comme cela lui arrivait par intermittence au milieu de ses actes de veulerie affecté, d’un ton acerbe car il s’oubliait et ne s’embarrassait pas du piteux masque de la bienséance requis, Louis-Jin afficha un visage à demi-hargneux et lâche ; celui qui était le sien.

- Qu’est-ce qu’ils viennent encore nous emmerder ces abru… puis se ressaisissant pour affecter la convenance, une posture à nouveau légèrement voûtée et ce sourire si faux qu’on aurait pu le croire fait de fiel et de cire, il se corrigea. Enfin… quelles nouvelles nous apportent nos aimables confrères ?

- Figurez-vous qu’ils veulent nous envoyer une recrue.

- Et que voulez-vous que ça me fou… De nouveau, il s’était révélé pour ce qu’il était, rattrapant de justesse ses élans de sincérité malvenus. Les ténèbres acrimonieux qu’il avait laissé tomber sur son visage s’illuminèrent vaguement. Il souriait de nouveau, et fort mal, comme il savait le faire si bien.

- En voilà une bonne nouvelle.

- Pas pour ce pauvre matelot en tout cas. Asséna sèchement le colonel. Parce qu’il va apparemment échouer dans nos Abîmes.Lieutenant Bestag. Il plaça alors ses deux mains lourdes sur ses épaules lâches dudit lieutenant, manquant par-là même de le faire crouler. Vous allez être en charge d’un subordonné. Mes félicitations.

Abasourdi par la nouvelle pour ce qu’elle avait de soudaine et ce, bien qu’il avait inutilement retardé la conversation, Louis-Jin tomba des nues. Il effectua un pas en arrière, et même en deuxième avant de laisser atterrir son séant contre le rebord d’un bureau contre lequel il posa ses mains en appui. La bouche entrouverte, les yeux un tantinet écarquillés, on l’eut cru victime d’un violent coup à l’estomac.

- C… comment ? Moi ? Mais… je suis encore si jeune. Je… il avait l’impression que le monde entier lui était tombé sur l’échine, déjà pantelant. J’avais pourtant pris mes précautions, je comprends pas.

C’était un de ces événements dont il se serait bien passé. Avec une si bonne planque que le « Bureau des affaires escargophoniques », Louis-Jin n’avait pas envie que quelqu’un soit dans ses pattes et le surveille au travail. La nouvelle lui était tombée dessus comme une mort subite. C’en est alors fini de ses journées de glandouilles sponsorisées par le peuple ; il devrait à présent agir comme tout à chacun et faire semblant de travailler.
Son office frauduleux, quoi qu’officiel,  partait à l'origine d’un contrat tacite entre la Marine et lui. Elle s’engageait à le ranger au placard et à l’abandonner à sa sinécure s’il s’abstenait de faire son devoir, car il l’accomplissait fort mal.
À le voir si ébranlé, n’affectant alors plus ses sentiments, mais sincèrement terrassé par ces derniers, le colonel Zoune sut qu’il ne simulait pas son étonnement.

- Ce n’est donc pas vous qui avez requis un transfert ?

Le mystère, à ses yeux, gagna conséquemment en épaisseur et, contrarié de peu, le vieux colonel croisa ses bras en un tas de muscles noueux, sa tête penchée sur le côté. Il s’interrogeait de l’incongruité d’un tel événement, pourtant de peu d’importance.

- Pourquoi diable un matelot pourtant plein d’avenir viendrait ruiner sa carrière ici ? Tout ne s’expliquerait donc pas… Peu importe après tout. Se résigna-t-il à conclure. Il arrive dans une heure environ, alors faites-moi le plaisir de le recevoir… dignement ?

Il avait hésité à prononcer le mot, peinant franchement à associer la notion de dignité à cet individu veule qu’il avait sous les yeux.
Ayant de toute manière trop de travail pour statuer plus longtemps sur la question, il tapota la tête de son officier, ravivant la douleur qu’il avait à sa bosse, puis prit congé de lui, trop pressé de quitter les Abîmes pour retrouver la surface et travailler avec de vrais Marine.

La porte à peine close derrière lui, et dans un sacré vacarme, Louis-Jin rumina sa peine hargneusement, effectuant les cent pas au milieu de tous les escargophones rivés sur les bureaux et étagères l’environnant. Tout en se rongeant l’ongle du pouce, le regard plus mauvais qu’à l’accoutumée, la sueur lui perlait plus généreusement sur le visage.

- Ah mais…, jurait-il, désormais perdu dans une frénésie qui lui était venue soudainement, ils font ça rien que pour me surveiller, les… les fumiers. Ça vient de loin toute cette histoire, oh que oui ! À moi on la fait pas ! Tout… tout ça, toute cette CONNERIE, c’est signé Cipher Pol et compagnie. Qui d’autre, franchement ?! ».

Quelques uns de ses escargophones l’observaient mornement tourner en rond, agité, à élucubrer ses histoires de complot. Ils étaient, et depuis deux années de prise de fonction au moins, la seule compagnie du lieutenant qui, d’un tempérament si perfide, avait littéralement creusé son trou pour qu’on l’abandonna dans les bas-fonds, fourgué par défaut dans un office dont personne ou presque ne connaissait l’existence. Le « Bureau des affaires escargophoniques », statutairement, se prévalait d’attributions plus ronflantes encore que suggéraient le titre. En l’état, le lieutenant Louis-Jin Bestag avait pour charge de veiller au bon fonctionnement des escargophones de la Marine sur West Blue. Vaste programme s’il en était. Sa responsabilité, en définitive, supposait qu’il corrigea tout dysfonctionnement de communication escargophonique, assura l’entretien des gastropodes, et passa commande pour renouveler ou améliorer le cheptel à coquilles. C’était dire quelle vie palpitante il menait.

- Franchement, mais franchement, qu’est-ce que vous voulez que je foute d’un… sa voix perdit trois octaves au moins, d’un matelot.

Enfin, repus de ses tourments, Louis-Jin stoppa la cadence, ses mains dans le dos, le visage assombri de sa dernière assertion. Après un court instant d’hésitation, il se résolut à reprendre ses monologues.

- Un… un matelot. Insistait-il à voix feutrée.

De là, il leva ses yeux embués de larmes vers la lanterne suspendue au plafond. La lueur fit ainsi scintiller l’émotion qu’il avait dans les prunelles, comme ciblé tout personnellement par un halo lumineux.

- Un matelot... MON matelot !

En officier réprouvé, on ne lui avait en effet jamais confié la charge d’une seule vie humaine ; pas même d’un homme-poisson. Et c’était heureux, car il n’était pas très soigneux de la vie d’autrui. Si Louis-Jin était là, seul et dans la pénombre d’un office souterrain, ce n’était pas par injustice, mais par précaution.

- Mon matelot ! Confirmait-il cette fois avec entrain, ses larmes de joie déjà asséchées. Enfin un peu de considération. Je… je lui apprendrai des tas de trucs, comme ça, il saura faire plein de tours et… et… je lui donnerai des ordres, comme ça, je ferai plus rien, enfin encore moins que d’habitude.

Déjà parti faire des plans sur la comète, il poussa le vice jusqu’à s’échauffer la voix. Le lieutenant Bestag, bientôt officier pour de vrai, allait s’essayer à une simulation de chefferie tournée vers ses escargophones blasés et mous.

- A… allez mon petit ! Débutait-il énergiquement, le doigt pointé vers ses appareils. Surveillez-moi cet escargophone, je veux plus l’entendre grésiller. Oh la vache, ça donne bien, on s’y croirait.

Déjà partagé entre des élans bêtement autoritaires et un auto satisfecit qui confinait de peu à l’onanisme caractérisé, on sut, à cette seule prestation, quel exécrable supérieur serait alors le lieutenant Bestag. Nul démonstration, cependant, ne fut nécessaire pour que quiconque le connaissait fut en mesure de s’en convaincre.

Initialement en colère, Louis-Jin avait viré extatique, reprenant sa série de cent pas, mais plus enjoué cette fois. À multiplier ses fantasmes de petit chef, escomptant même une recrue féminine, car on ne délirait jamais de trop une fois abonné à ses illusions, l’expert en escargophones tressaillît. On avait en effet frappé une fois de plus à la porte.
Dans un premier temps, écoutant ses instincts de Marine, l’officier sursauta et se cacha prestement derrière un des bureaux encombrés de paperasses et de gastropodes assoupis. Après un court temps, quoi que bien assez long, il avait finalement levé son nez de derrière sa planque de fortune.

- D… déjà ? Paniquait-il. Tout ça arrive si vite.

Mais aussi impatient qu’il était anxieux de découvrir sa recrue, il sauta par-dessus le bureau, trébucha stupidement, se releva en jurant entre ses dents puis se rua à la porte avant de l’entrouvrir précautionneusement, soudain pusillanime. Le portail vers son Abîme ainsi entrebâillé, il ne laissa finalement dépasser que deux yeux fourbes et acariâtres au travers de l’embrasure de la porte, accueillant l’imposante silhouette trouvée derrière d’un très aimable :

- Qu’est-ce que c’est ?!


Dernière édition par Louis-Jin Bestag le Lun 20 Mai 2024 - 8:50, édité 1 fois
Jean Vittore

Feuille de personnage
Dôrikis :: 190
Renommée :: 0
Prime :: 0
Jean Vittore
Mar 7 Mai 2024 - 5:49
 Snails & Bibles - La convergence des catastrophes 4gu9
« Matelot de 1ère Classe Vittore, c'est bien ça ?
- Oui monsieur !
- Pour vous, ce sera Colonel. Colonel Zoune, marmonna Zoune, les yeux rivés vers les papiers qu'il manipulait à son bureau.
- Euh, oui Colonel ! »

Jean avait beau avoir intégré la marine il y a quelques mois, il lui arrivait parfois d’oublier les règles d’usage, et ce malgré l’application qu’il s’efforçait toujours de conserver. La bienséance, la hiérarchie, la politesse, tout ça, c’était nouveau pour lui.

Il se tenait droit comme un piquet dans l’office du Colonel Zoune, l’uniforme sans un pli et le foulard bleu de matelot noué autour du cou. Au fond, il se sentait penaud, mais un homme de bien devait faire bonne figure face à son supérieur. Le Colonel Zoune farfouilla quelques secondes dans ses documents, et juste avant qu’une pointe d’agacement ne transparu au bord de ses lèvres, il trouva le papier qu’il cherchait. Il le déplia et le lut d’une voix forte mais monotone.

« Bon, bon… Rapport du Colonel Heming, à destination du QG de West Blue…blabla…Concernant le cas du Matelot de 1ère Classe Vittore…mh…mh…je vois…ah oui, quand même…mh…d’accord. »

Jean se contint du mieux qu’il le put, mais il sentait la gêne lui tendre les joues. Son départ du QG d’East Blue ne s’était pas fait sans accroc, et après ce qu’il avait fait, quiconque dans sa situation se serait senti honteux…

Toute cette histoire avait commencé il y a deux semaines de cela, on avait nommé Jean au grade de 1ère Classe, chose assez rare étant donné son engagement récent dans la marine. Mais sa bonté extrême et son physique de colosse avaient tapés dans l’œil de plusieurs officiers d’East Blue et on s’était dit, à juste titre, que ce gaillard ferait un bon soldat. Le Colonel Heming lui avait attribué des tâches qui seyaient à un 1ère Classe, notamment l’escorte et la garde de prisonniers. Fort et impressionnant comme il l’était, on l’avait ainsi chargé de surveiller deux pirates en partance pour Impel Down. Les jumeaux Ratz, deux opposés parfaits de Jean ; ils étaient frêles comme des brindilles, mais malins comme des singes. Ils n’eurent aucun mal à jouer de la crédulité du bon Jean Vittore, et parvinrent à obtenir quelques largesses en faisant ami-ami avec lui. Les deux avaient repéré la Bible que le Matelot emportait toujours, et ne s’étaient pas privés de faire mine d’être de fervents croyants, eux-aussi.

Des discours sur la bonté divine et sur leur soi-disant repentance et Jean Vittore tomba rapidement dans le panneau. Une nuit, après moult conversations avec ce qu’ils croyaient être ses nouveaux amis, Jean s’était assoupi près de leur cellule, et les frères Ratz en avaient profité pour voler sa clé et se faire la malle. Un piège grotesque que tout soldat d’un tant soit peu sagace aurait vu venir à des kilomètres. Mais Jean n’était pas de ceux-là, et si un homme prétendait au pardon comme il l’avait fait lui-même, alors il se devait de lui faire confiance, c’était plus fort que lui.

Malheureusement, dans l’armée, ce genre d’erreurs se paie cher, très cher. La nouvelle de l’évasion des frères Ratz fit le tour du QG en un éclair et la responsabilité fut attribuée au Matelot de 1ère Classe Vittore. À raison. La sanction aurait dû être immédiate et Jean aurait dû rendre son uniforme le lendemain même, mais l’intervention du Colonel Heming le tira d’affaire miraculeusement.

La bourde de Vittore ne trahit pas pour autant la confiance que Heming lui portait. Jean était bon, fort et juste, quoi que crédule. Pour Heming, c’était un élément que la marine se devait de garder et d’éduquer, alors il le défendit corps et âme face à toute une ribambelle d’officiers qui voulaient faire de ce renvoi un exemple. L’influence mais surtout la détermination du Colonel eut finalement le dernier mot de cette histoire, avec toutefois, une seule contrepartie : Jean Vittore devait disparaître du terrain et être envoyé là où plus jamais il ne pourrait commettre ce genre d’erreurs.

Ainsi donc le Matelot Vittore se retrouvait ici, sur West Blue, une mer qu’il ne connaissait pas, dans un QG dont il ignorait tout, planté devant un autre Colonel, qui relatait sa bourde à voix haute, et dans les moindres détails.

« …Eh bien. Quelle histoire. J’espère que vous avez remercié ce bon vieux Heming comme il se devait. »

Le Colonel Zoune replia le rapport et le fit disparaître sous une pile de classeurs et feuilles éparses. Il retira ensuite ses lunettes et s’enfonça dans son fauteuil en croisant les bras.

« Je ne sais pas si on vous l’a dit, mais on vous envoie à l’Office des communications escargophoniques. Vous allez travailler sous les ordres du… Zoune marqua une courte pause, comme si ce qui s’apprêtait à sortir de sa bouche était douloureux. Du Lieutenant Louis-Jin Bestag.
- L’Office des communications escargophoniques ? Qu’est-ce que c’est ? demanda Jean avec une curiosité légitime.
- Il vous expliquera, expédia Zoune. Enfin, j’espère…
- T-très bien Colonel ! répondit Jean en se mettant au garde-à-vous. Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre QG, et je ferai de mon mi…
- Sergent Kaas !! » Hurla soudainement le Colonel.

La porte s’ouvrit prudemment et une tête ronde et chauve apparut dans l’entrebâillement.

« Euh, oui Colonel ?
- Si vous voulez bien accompagner le Matelot Vittore à l’Office des communications escargophoniques.
- Aux Abîmes ? sembla s’indigner le Sergent.
- Pas de discussion Kaas, je vous remercie. »

Jean salua une dernière fois son supérieur, récupéra son sac où étaient entreposées ses affaires et quitta la pièce en compagnie du Sergent Kaas. C’était un homme de petite taille, recroquevillé à cause du manque d’exercice physique – un comble pour un marine – et il avait le visage écrasé. Il y avait plus de peau que de chair sur sa face, ce qui lui donnait une moue ronchonne que son évidente aigreur n’aidait pas à améliorer. Il ne lui adressa pas le moindre mot durant leur traversée du QG vers les étages inférieurs. Et lorsqu’ils arrivèrent devant un escalier qui descendait vers des abysses si sombres que des monstres pourraient s’y être retranchés, le Sergent Kaas s’arrêta net et se tourna vers celui qui le dépassait de six ou sept têtes.

« Voilà, c’est en bas, tout au fond du couloir.
- Euh, d’accord, merci Sergent ! »

Jean se retrouva seul face à une pénombre qui n’annonçait rien de bon. Il se demanda comment un office pouvait se trouvait là-dessous, mais vu qu’il n’y avait plus de Sergent Kaas dans les parages à qui poser la question, il se décida à descendre.

Il n’y avait pas âme qui vive dans ces sous-sols ténébreux, à part un rat qui se faufila entre ses jambes en le faisant sursauter au passage. Cela dit, le Sergent Kaas avait dit vrai et l’Office des communications escargophoniques se trouvait bien au fin fond du fond du couloir.

L’accueil du Lieutenant Bestag ne fut pas des plus chaleureux et à en croire ses deux yeux écarquillés qui dépassaient de l’entrebâillement, ce dernier s’attendait à autre chose qu’un gaillard rouquin. D’autant plus qu’avec le manque de luminosité, Jean ressemblait plus à un troll ou un yéti qu’à un Matelot de 1ère Classe.

« Bien le bonjour, est-ce que le Lieutenant Biutag est ici ? Je suis le Matelot de 1ère Classe Jean Vittore, on m’a dit que je travaillerai ici. »

La porte se referma en un claquement et on entendit l’homme derrière la porte grommeler des mots incompréhensibles. Puis, elle s’ouvrit à nouveau, cette fois-ci en grand et brusquement.

« C’est Bestag, Lieutenant Bestag ! Ne l’oubliez jamais Matel…ouaaaah »

Le Lieutenant Bestag fit une cabriole en arrière, poussé par la panique, et s’écroula lâchement sur un bureau où trônait tout un tas d’escargots.

« J-je…Je n’avais pas vu que vous étiez aussi…grand. Ahem. »

Jean dépassait largement de l’encadrement de la porte et dut se mettre de trois-quarts pour pouvoir pénétrer dans la salle obscure. Il fit un pas et sa tête heurta le plafond, l’obligeant à se recroqueviller. De toute évidence, cet endroit n’était pas fait pour un colosse comme lui.

« Désolé Lieutenant. Je ne voulais pas vous faire peur » s’excusa-t-il en se grattant l’arrière de la tête.

Bestag se remit d’aplomb en se tortillant comme une anguille et ajusta sa veste en tirant dessus. Il suintait le malaise par tous les pores de son visage, mais fit mine d’être impassible en levant le menton fièrement.

« V-vous ne m’avez pas fait peur du tout, pesta-t-il d’un faux air nonchalant. Matelot Vittore, vous avez dit ?
- Oui Lieutenant ! Enchanté ! s’écria Jean en se mettant au garde-à-vous. Je suis ravi de travailler avec vous ! »

C’était faux, personne ne pouvait se sentir à l’aise en un tel endroit et encore moins face à un tel personnage. Même si au fond de lui Jean n’était pas très emballé par ce nouveau poste de travail, il tâchait toujours de démontrer son enthousiasme et voulut faire bonne impression.

Jean jeta un coup d’œil autour de lui. La salle des communications escargophoniques n’était certainement pas le plus éclairé des offices, il n’y avait que quelques bureaux et commodes mal rangés sur lesquels trônaient des tas d’escargots. C’était difficile à accepter, mais c’était bien ici qu’il allait vivre et travailler, entouré de gastropodes et de toiles d’araignée.

« Lieutenant, vous travaillez seul ici ? s’inquiéta Jean.
- Qu’est-ce que ça peut vous fo…Oui bien sûr, Matelot. Il n’y a que moi ici qui s'y connaît en escargophones ! Toutes les communications passent par moi ! »

Bestag se vantait les mains sur les hanches et la tête levée tout en jetant un coup d’œil discret à son subordonné pour voir s’il l’avait impressionné. D’ordinaire, Jean s’émerveillait facilement, mais les escargots, ça ne lui inspirait pas grand-chose, pour ne pas dire rien.

« Et dites Lieutenant, où est-ce que je vais dormir ? »

Les dernières semaines avaient été longues pour Jean, il était exténué. Lorsqu’il posa cette question à son nouveau supérieur, il espérait secrètement que le Lieutenant Bestag le conduise à un lit de qualité.

« Ah. Euh…c’est que vous êtes le premier à venir travailler ici, j’avais pas pensé à ça. Eh bien, Matelot, vous dormirez ici ! Ça vous ira bien, vous êtes suffisamment robuste. Ici vous serez toujours proche des escargophones, donc s’il se passe quelque chose, vous pourrez intervenir ! Et puis de toute façon, y a que ça. Moi je dors dans la chambre au fond. »

Le Lieutenant lui pointa un tapis poussiéreux dans un coin de la pièce. La mâchoire de Jean se décrocha à la vue de ce qui était plus proche d’un paillasson que d’un matelas. Malheureusement, il le savait, il n’avait pas son mot à dire, alors il acquiesça et avança les épaules lâches jusqu’à son nouveau « chez-soi ». Il laissa son sac au bord du tapis et déposa aussi sa Bible avec précaution.

Désormais prêt à endurer la suite, il se retourna vers Bestag en s’efforçant de conserver son enthousiasme.

« Lieutenant, c’est quoi notre travail ici au juste ? »


Dernière édition par Jean Vittore le Mer 8 Mai 2024 - 15:40, édité 1 fois
Louis-Jin Bestag

Feuille de personnage
Dôrikis :: 230
Renommée :: 0
Prime :: 0
Louis-Jin Bestag
Lieutenant
Mar 7 Mai 2024 - 8:17
Une icone en 260 pixels de large et 100 pixels de haut de votre personnage ou votre jolyroger
À la manière d’un chien curieux et froussard qui découvrait une nouvelle âme sur son territoire – qu’il n’avait heureusement pas marqué – le lieutenant Bestag sentait alterner en son cœur joie et appréhension. Il était là son matelot, c’était chose accomplie ; mais qu’en faire au juste ? Ces animaux-là étaient une charge ; une lourde responsabilité. Lourde de plus d’un quintal en ce qui concernait le première classe Vittore, matelot dont la seule carrure laissait à suggérer qu’il avait mieux à faire que de décrocher des combinés.

Apparemment soucieux de son devoir en devenir, ou peut-être simplement trop intrusif et carencé en savoir-vivre, le grand gaillard avait manqué aux convenances inhérentes à son rang ; il s’était oublié au point de multiplier les questions. Or, la Marine, dans ce que supposait la discipline, imposait à tout subalterne d’attendre les ordres et de les accepter docilement. C’était alors chose heureuse qu’il fut amené à servir un officier qui, lui, abhorrait jusque dans sa chair la rigueur martiale des gens d’arme. D’ailleurs, d’arme, il n’en avait aucune sur lui ni à portée. Rien que du papier, de l’encre et ces dizaines de baveux léthargiques qui somnolaient ou rampaient à leur guise.

Ne sachant trop sur quel pied danser afin qu’il fit forte impression sur sa recrue, Louis-Jin souhaita âprement marquer le coup en ce jour afin qu’il lui apparut comme un supérieur digne d’être obéi. Ce qu’il n’était assurément pas. Aussi, s’il n’intimait en rien le respect, que ce fut au naturel ou même en se forçant, il lui faudrait agir de sorte à le lui soudoyer. En son for intérieur, éprouvé par la pression d’avoir à briller devant un subalterne afin qu’il le mérita sous ses ordres, Louis-Jin se trouvait ainsi en proie à des sentiments contraires. Sincèrement, et ce, bien que la sincérité n’était pas son fort, il souhaita être agréable en tout point à ce grand couillon jeté avec lui dans les Abîmes. Subsistait cependant un obstacle à cette saine résolution : son tempérament. Savoir plaire nécessitait en effet d’être authentiquement sympathique, prouesse que le lieutenant Bestag ne savait pas simuler bien longtemps, créature mesquine et retorse qu’il était. Ces quelques constantes gouttes de sueur au coin du visage, disait-on, n’étaient rien moins le fiel qui lui débordait de l’esprit.

- Ha-ha-ha-ha, riait-il si mal depuis une trogne crispée afin d’affecter piteusement la bonhomie, qu’est-ce que c’est que toutes ces questions que tu me poses-là ha-ha-ha ? Demandait-il alors les dents serrées en un sourire derrière lequel on devinait la nervosité d’une démarche franchement hostile et inquisitoriale. On dirait… on dirait que tu cherches à tout savoir, un peu… un peu comme un agent du Cipher Pol, ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha

Puis, interrompant très soudainement ce long rire factice énoncé les yeux écarquillés et soupçonneux, il leva un bras pour se saisir sèchement du foulard bleu de son matelot afin de le faire se plier à sa hauteur. D’un regard de possédé, son visage déformé et transfiguré par la peur et la hargne, il lui demanda de sa voix grinçante :

- Dis, tu serais pas du Cipher Pol par hasard ? HEIN ?!

Le drame tombait toujours vite et sèchement quand le lieutenant Bestag se laissait aller à la paranoïa. Peut-être ce trait de caractère, sans doute aussi fâcheux que les autres, lui venait d’une déformation professionnelle. À trop travailler dans le milieu des écoutes, à tout vouloir savoir sur ce qui se disait et se faisait, aspirant malgré lui à l’omniscience, le maître escargophone était graduellement devenu paranoïaque.
C’était sous les ordres d’un tel individu que le première classe Vittore allait devoir servir.

- N… non, monsieur, avait de nouveau fauté Jean en omettant de l’appeler par son grade.[/color][/b]

Louis-Jin, toutefois, ne lui adressa aucune remontrance. Il y avait fort à parier qu’il n’avait pas même relevé le manquement disciplinaire dont il avait fait les frais. Personne ou presque, de toute manière, ne l’appelait jamais « lieutenant ». D’abord car on s’écorchait la langue à lui reconnaître ce seul grade et surtout, car personne ne l’appelait jamais.
Peut-être calmé, à moins qu’il ne simula l’apaisement, observant encore le rouquin du coin de l’œil, Louis-Jin lâcha le foulard et adressa quelques tapes condescendantes sur le bras du mousse.

- Bon… bon. Je te crois, je te crois. Je t'ai à l'œil.

Le lieutenant, comme si de rien ne s’était passé, reprit contenance sur lui, et retrouva bien vite ce visage anxieux ainsi que ce sourire qu’il ignorait inquiétant.

- Notre travail, eh bien… je vais te dire en quoi il consiste, notre travail. Parce que, hein, attention, ici, on… on bosse dur. Ah ça oui ! On fait des tas de choses en fait au Bureau des Affaires Escargophoniques B.A.E pour les intimes, t’en es, profites comme par exemple euh… des trucs techniques et stratégiques, inscrits dans une démarche de cohésion de groupe à l’échelle globale. Sois prévenu, au B.A.E c’est le nom du bureau, tu te souviens ? on axe notre intervention autour des escargophones, comme ceux qu’on a là, quoi, afin de contribuer à un effort euh... collectif ? Enfin, pour contribuer, quoi.

Son exposé avait alors été si vague qu’on l’aurait pris pour un tsunami. Le fait est que personne ne savait très exactement à quoi servait le Bureau des Affaires Escargophoniques, à commencer par Louis-Jin. Le gros de son travail consistait à mettre en relation différents services de Marine sur West Blue afin de joindre certaines officines en particulier ; de faciliter les communications. Il arrivait qu’on exigea de lui qu’il trouva le numéro d’un escargophone en particulier sur le territoire, expliquant par là même la présence de si nombreux papiers éparses tapissés de numéros.
Relégué au rang de sur-secrétaire de Marine, l’attribution statuaire de sa charge, en principe, l’assignait aussi à la surveillance des communications. Cependant, aucun budget ne lui fut jamais alloué en ce sens afin qu’il fit l’acquisition de matériels d’écoute réputés rares et onéreux.
En outre, Louis-Jin se chargeait de l’entretien d’escargophones défectueux, généralement du fait que leur propriétaires ne les nourrissait pas convenablement.

- Tiens, tout ce qu'on fait, c'est écrit là-dedans. Avait alors ajouté Louis-Jin, manifestement acariâtre et vexé de ne pas même avoir su définir lui-même à quoi il servait.

Il avait alors glissé une brochure froissée dans la chemise du matelot, comme on l’aurait fait en insérant un billet de mille berries dans le soutif d’une danseuse de charme. Un silence quelque peu gêné résultat de cette introduction au fabuleux métier de responsable des communications escargophoniques.
Cet énième faux-pas accompli, celui-ci s’inscrivant jusqu’alors dans une série ininterrompue de maladresses du même acabit, Louis-Jin sut qu’il était en train de perdre l’estime de son matelot. Cela, à supposer qu'il en ait seulement accaparé une bribe. Il lui fallait en tout cas rattraper le coup par tout moyen. Ainsi, poussé dans ses retranchements, il s’essaya à la générosité, exercice dans lequel il n’excellait que modérément si ce n’est même pas du tout.

- Bon, c’est pas tout ça Victor, mais on travaille mieux le ventre plein. Allez, simula-t-il alors l’entrain, je t’invite à manger.

Qu’il était charitable, cet officier là. D’autant mieux qu’il n’offrait rien du tout dès lors où la cafétéria approvisionnait gracieusement les soldats du Q.G, courtoisie du colonel Zoune. Le fait est que cette collation en devenir, le lieutenant Bestag l’offrirait à son subalterne, quand bien même il ne paierait rien.

- Merci monsieur, s’enthousiasmait un brin le matelot, sa brochure en mains, mais mon nom à moi, c’est « Vittore ». « Jean Vittore ».

De biais, son visage s’étant presque éteint, celui-ci n’était alors plus illuminé que par la terne lueur hostile qui baignait dans ses yeux, le lieutenant, d’un silence de mort, adressa à son subordonné ce seul regard ombrageux en guise de réplique.

- Mais ça peut se prononcer « Victor », remarquez. Si on fait pas attention.

- Bien sûr que ça peut ! S’égaya Louis-Jin en retour tout en tapotant encore le bras de « Victor ».

Il « tapotait » d’ailleurs avec une telle insistance, qu’on ne sut trop s’il exprimait de la bienveillance ou exerçait une menace larvée sur le grand gaillard. Le fait est qu’ils se mirent en marche afin de quitter les Abîmes et retrouver la lumière.
Une fois au réfectoire, officiers et matelots présents observèrent du coin de l’œil cette arrivée pour le moins remarquée. D’abord, car le rouquin ne passait pas aisément inaperçu, ensuite, car Louis-Jin ne sortait habituellement jamais de son refuge sous-terrain pour se mêler aux autres. Qu’il fut présent pour marquer le coup interrogea le petit contingentement d’hommes et de femmes venus se prélasser le temps d’une courte pause de mi-matinée. Le brouhaha des conversations éparses s’était obscurci en une série de murmures lugubres auxquels Louis-Jin ne prêta pas attention, se foutant éperdument de ses camarades et confrères.

- T’es encore en train de lire ça ? Râlait déjà Louis-Jin à l’intention du costaud, manifestement soucieux d’en apprendre plus sur ses missions en devenir. Dis-moi plutôt ce que tu prends. C’est moi qui offre, je te dis. Assurait-il éhontément.

Son instruction achevée, le bout de papier plié et rangé précautionneusement dans une poche de son pantalon, même Jean, pourtant nouveau en ces lieux, ne put ignorer l’hostilité planante et les regards furtifs qui leur étaient alors adressés. Au milieu des bruissements de voix, il lui sembla même entrapercevoir une remarque de bien mauvaise augure.

- Pas croyable, ils ont assigné un matelot à l’autre rampant. Faut vraiment avoir offensé à Dragon Céleste pour finir là.

- Tais-toi, je crois qu’il nous regarde.

Peut-être Jean, en dépit de la bienveillance que le colonel Heming avait exercé à son endroit pour le prévenir d’une cour martiale, commença à deviner que son nouveau poste, en soi, tenait de la sanction disciplinaire.
Jean Vittore

Feuille de personnage
Dôrikis :: 190
Renommée :: 0
Prime :: 0
Jean Vittore
Sam 11 Mai 2024 - 2:06
 Snails & Bibles - La convergence des catastrophes 4gu9
L’expression « fusiller du regard » n’avait jamais fait autant sens, chaque coup d’œil pouvait vous transpercer le cœur. Jean déglutissait tandis qu’il emboîtait le pas de son nouveau supérieur. Bestag, lui, paraissait presque insensible au mépris qui flottait dans l’air, comme si cela n’avait rien d’inhabituel.

Après la remarque furtive du matelot attablé, Jean se sentit profondément mal à l’aise. Il avait du mal à l’admettre, mais il avait probablement atterri au pire endroit, et la compagnie – si tant est que l’on puisse la qualifier ainsi – du Lieutenant Bestag était si désagréable que Jean sentait ses poils se hérisser.

Heureusement, pour ne pas sombrer dans les affres du doute, le bon Vittore s’en remit à son Seigneur. Peut-être était-ce là du déni que de croire que tout ceci, après tout, n’était que la volonté de Dieu, mais cela lui allégea le cœur, au moins durant un court instant. Il pensa que c’était le prix à payer pour la faute qu’il avait commise, mais la voix de la repentance se heurta systématiquement à une autre, plus franche, qui lui suggérait d’envoyer balader Bestag et de prendre ses jambes à son cou.

« Dites Lieutenant, pourquoi tout le monde nous regarde comme ça ? »

Au fond, il connaissait la réponse, mais il voulait en avoir le cœur net. Bestag ne se retourna pas, mais Jean le sentit vibrer de colère sous sa veste d’officier.

« Mais tu vas arrêter avec tes questions à la c… se contint difficilement l’anguille, dont la mâchoire se crispait à chaque fois que la vérité voulait s’échapper de sa bouche. T’occupe pas de ces types ! Bon, tu prends quoi à la fin ?!
- Euh...Des spaghettis...S’il vous plaît. »

Bestag, planta son regard fielleux dans celui du cantinier, aux prises avec un morceau de volaille.

« On va vous prendre deux plats de spaghettis, un pour moi, un pour Victor, mon subordonné ! C’est moi qui offre ! » s’écria Louis-Jin de vive voix, comme si la terre entière devait entendre qu’il faisait acte de générosité.

A l’écoute de la voix de Bestag qui sonnait toujours faux, le cantinier eut un spasme d’agacement. Il releva la tête, et de son regard mort on ne sut s’il était énervé, épuisé par son travail, ou simplement lassé par la demande du Lieutenant.

« Lieutenant Bestag... Les plats sont gratuits… »

A cela, Bestag se pencha méchamment au-dessus du comptoir et souffla quelques mots amers à l’oreille du cantinier. Le chef finit par souffler, puis attrapa sa louche et servit deux plats de spaghettis bolognaise, avant de tendre un plateau à Jean.

« Tenez… soupira-t-il, offert par votre Lieutenant… »

Bien sûr c’était faux, mais Jean ne s’attarda pas sur un tel détail, car la faim se faisait sentir. Il empoigna son plateau, remercia d’un geste de la tête le cantinier et se retourna pour chercher une table libre. Il en trouva une au fond de la salle et s’apprêta à s’y diriger lorsqu’un « Pssst » à son oreille le fit se retourner.

« Suis-moi Victor, on va manger là-bas. »

Bestag avait soudainement pris un air autoritaire et s’était redressé, fier comme un paon. Il marcha d’un pas assuré en direction d’une table où deux jeunes mousses profitaient de leur repas. Les tâches des mousses étaient souvent ingrates et fastidieuses, et bien souvent, ces derniers chérissaient leurs pauses du midi car elles étaient leurs rares moments de liberté. Une liberté que le Lieutenant Louis-Jin Bestag s’en vint chasser à coup d’agressivité méprisante. Les mains sur les hanches, planté de sa faible stature face aux deux mousses, il les obligea d’une remarque cinglante à « lever leur cul d’ici », et ce sans aucune once d’empathie. La mine qu’ils affichèrent trahissait leur sentiment ; les deux garçons maudirent intérieurement le Lieutenant, mais ils durent se contenter de se plier à son caprice et d’emporter leurs plateaux avec eux.

Pour Jean, la goutte d’eau n’était pas loin de déborder du vase. Aussi pieux qu’il était, il lui était difficile de fermer les yeux sur la méchanceté de son nouveau Lieutenant et sa manière grossière de déverser sa frustration sur le premier venu.

« Mais...Lieutenant Bestag ! Nous aurions simplement pu nous asseoir ailleurs. »

En bon altruiste, il usa comme il le pouvait de diplomatie pour raisonner son supérieur, mais il avait légèrement haussé le ton sans s’en rendre compte, ce qui n’échappa pas à Bestag.

« Hep ! Hep ! Victor, c’est moi qui donne les ordres ici ! Les O-R-D-R-E-S ! Regarde comme on est bien installés. T’es content non ? Hein Victor que t’es content ?
-  ...Oui. Mais quand même Lieutenant…
- Allez profite, c’est pas tous les jours qu’on mange des spaghettis, railla Bestag en affichant un sourire si faux qu’une goutte de sueur en perla de son front. »

Jean avait baissé la tête avec un air triste et se concentra sur son plat en évitant de croiser le regard de son chef. Que c’était bon de retrouver un peu de joie en se remplissant la panse, il avait l’impression de n’avoir rien mangé depuis trois jours – ce qui était presque vrai -.

Jean s’attelait à dévorer ses spaghettis en les enroulant d’un tour de main lorsque soudainement, un poing violent s’écrasa sur la table des deux marines. Le choc secoua les assiettes et le pauvre Vittore se retrouva éclaboussé de sauce tomate.

« BESTAG !!! Je vais t’apprendre à terroriser mes apprentis ! »

Un homme vêtu d’un manteau d’officier attrapa le Lieutenant Bestag par le col et le tira violemment de sa chaise. Dans la cantine, les conversations se turent brusquement et laissèrent place à de vives acclamations.

« Regardez !
- C’est le Lieutenant Slake !
- Ouah, le Lieutenant Slake ! La claaaaasse !
- Il est déjà revenu de mission ? Je le croyais en mer près de Nuvare !
- T’as pas entendu ? On raconte qu’il a maté les Skull Pirates à lui tout seul !
- Ouaaah ! »

Des remarques de la sorte se firent entendre aux quatre coins du réfectoire, alors que tous les regards étaient tournés vers l’altercation naissante. Agrippé par le Lieutenant Slake - qui de toute évidence avait bien plus la côte que lui -, le Lieutenant Bestag grognait sans dire un mot. Jean, remis de ses émotions après que la moitié de son plat de spaghettis fut renversé, se leva et essaya instinctivement de calmer les ardeurs du Lieutenant Slake qui s’apprêtait à corriger Bestag. Ce dernier avait beau ne pas avoir une grande place dans son cœur, Jean ne voulait pas s’attirer davantage d’ennuis. Les mains levées comme pour appeler au calme, Jean s’excusa platement comme s’il était responsable de la situation. Le Lieutenant Slake retint son poing l’espace d’un instant et observa le colosse de la tête au pied.

« J’en reviens pas. Comment ils ont pu mettre un bon gaillard comme ça sous tes ordres, hein Bestag ? »


Dernière édition par Jean Vittore le Sam 11 Mai 2024 - 9:43, édité 1 fois
Louis-Jin Bestag

Feuille de personnage
Dôrikis :: 230
Renommée :: 0
Prime :: 0
Louis-Jin Bestag
Lieutenant
Sam 11 Mai 2024 - 9:31
Une icone en 260 pixels de large et 100 pixels de haut de votre personnage ou votre jolyroger
La face, fallait alors pas la perdre, que ce fut au sens propre ou figuré. Car Bestag, lieutenant de son état, s’était comme figuré qu’il allait manger quelques avoines après les spaghettis. Et à cette correction qui semblait poindre dangereusement, inéluctable, presque commandée par l’ordre naturel même, comment s’y serait-il soustrait ? Il était là, saisi au col, tremblant et péteux, tout aussi poisseux qu’une anguille sortie de son eau croupie, à frétiller minablement entre les pognes de son pêcheur ; la posture n’intimait alors guère au respect. Comme le reste, d’ailleurs.

Tracassé de se savoir potentiellement délesté de l’estime présomptive de son tout nouveau matelot, désormais qu’il fut rendu à si fâcheuse posture, Louis-Jin craignit en premier lieu qu’on lui déchaussa les dents pour quelques vétilleuses broutilles. Il avait préféré jouer à l’officier à défaut d'avoir su incarner dignement la fonction ; voilà à quoi conduisait le cabotinage petit-bras, à devoir faire face aux conséquences de ses actes.

Piteux officier que celui qui devait compter sur un subalterne afin d’échapper à la sanction, à la mesure d’un père défendu par ses jeunes enfants. Eut-il eu de l’amour-propre que le lieutenant Bestag aurait péri sous le poids de la honte. Heureusement étranger à tout ce qui avait trait à l’honneur, L-J, non content d’être déjà secouru par un subordonné, abusa de l’aide ainsi prodiguée.
« Continue de le distraire », avait alors articulé de ses lèvres muettes l’inqualifiable officier à l’intention du matelot, cela, tandis qu’il se laissait couvrir de reproches dont il n’avait cure. Le première classe Vittore, un brin choqué de l’insigne culot dont il était témoin puis complice, persista à raisonner le deuxième lieutenant qui, lui, était plus manifestement homme à secourir ses matelots qu'à cacher derrière. À faire ainsi son devoir, si tant est que défendre un officier contre un autre était une charge à la mesure de ses attributions, en se prêtant malgré lui à la manigance, Jean  se faisait ainsi l’apôtre tout trouvé d’un bien vilain diable.

- Lieutenant, avait-il déterminé en observant le grade affiché sur la veste de l’officier belliqueux, allons...la Marine est trop haute fondation pour s’abaisser à ce genre de querelles. Au nom de mon officier de tutelle et de moi-même, je vous présente nos excuses.

Il avait de l’humilité pour deux, cet homme-là, et il le fallait bien pour au moins compenser le déficit de fierté dont accusait son supérieur hiérarchique. Le temps de formuler son entreprise diplomatique, Jean s’était alors efforcé de ne pas prêter attention aux « C’est ça… bien joué… continue de l’embrouiller... » qu’on soufflait sournoisement à sa portée. Qu’il chercha à passer outre ces chuintements sournois ne l’empêcha toutefois pas d’apercevoir son « officier de tutelle » extraire un ustensile de sous sa veste. Le pire était à redouter.

Louis-jin, d’un faux air de complaisance et de camaraderie affectée, toujours saisi au col, tapota alors le dos de son confrère comme afin de l’amadouer à quelques plus tendres desseins. Un pareil geste, parce qu’il parut d’abord trop insincère et convivial de la part d’un énergumène aussi retors, interpella son assaillant. Ses doutes se confondirent en certitudes lorsqu’il sentit se mouvoir lentement contre ses côtes une masse négligeable, quoi que lourde des inquiétudes qu’elle lui prodigua.

- Ma parole, est-ce que tu viens de me mettre quelque chose dans le dos ? S’excita davantage le lieutenant Slake de ses dents serrées de fureur.

Celui-ci eut alors été mieux inspiré de faire pleuvoir les coups que d’exprimer ses griefs. Car si le confrère qu’il tenait bien en mains était créature dérisoire, c’était un tort que de ne pas le réduire au silence. La rumeur publique, dans les couloirs du Q.G de West Blue, prêtait en effet au verbe du lieutenant Bestag quelques rudiments de diableries.
Usant d’une de ses mains libres qu’il avait jusque là brandie en l’air le temps de l’altercation, le lieutenant Bestag avait alors entrouvert discrètement un pan de sa veste pour y souffler à l’intérieur, calme et implacable :

- Je ne t’ai rien mis dans le dos.

Sans que l’assemblée ne sut trop si cela résultait du soudain changement de ton qu’avait opéré Louis-Jin, il sembla néanmoins à tous que son agresseur fut hérissé par la réplique. Le regard absent durant un court instant, brutalement glacé au beau milieu de ses ardeurs enragées, Slake, d’une voix morne qu’on ne lui connaissait pourtant pas, ne trouva à répondre que :

- Il… n’y a rien… dans mon dos.

Cela, il ne l’avait pas seulement dit, mais il s’en était aussi persuadé. Le sentiment lui était alors désagréable du fait qu’il sentit quelque chose glisser lentement le long de ses lombaires tout en étant paradoxalement certain du contraire. Dressant Louis-Jin brusquement au point qu’il le suspendait à présent au-dessus du sol, c’est en colère, mais anxieux, que le lieutenant Slake adressa ses récriminations.

- Qu’est… qu’est-ce que tu m’as fait ?

Sans trop savoir comment, il lui avait semblé que ce piètre Marine qu’il tenait si fermement de ses mains avait gagné toute emprise sur lui durant un bref moment. La manière dont se comporta ensuite la proie de son ire ne confirma que mieux ses sinistres pressentiments.
Car bien qu’il n’en mena pas large jusqu’à lors, mortifié de trouille entre les doigts d'un plus puissant que lui, Louis-Jin s’était comme transfiguré. Un auriculaire dans l’oreille, la lèvre supérieure à demi-retroussée et une morgue envenimée dans le regard, il émanait à présent de lui un sentiment d’assurance si déplacé que son visage grimaçait d’un trop-plein d’arrogance.

- Moiiiii ? ♪ Rétorquait-il insolent, même ainsi qu’il fut décollé du sol. Rien, enfin. Rien de méchant du moins. Puis, d’un long sourire accentué par la satisfaction de se croire intouchable, il ajouta, Je t’ai juste discipliné, mon petit Slake. Faut encore bien ça, avec les mauvais éléments dans ton genre, Puru-hu-hu-hu-hu-hu.

Sûr de lui en dépit de la situation précaire dans laquelle il se trouva, L-J avait adressé un clin d’œil des plus lourdingue à son matelot, tout aussi perplexe et incertain que le reste de ce qui constitua l’assistance. En tapinois, Louis-Jin inclina le menton pour à nouveau approcher ses lèvres de l’entrebâillement de sa veste blanche afin d’y glisser de nouveau ses ordres.

- Lâche-mon col et remets-le à sa place. Et surtout… garde-toi bien de me mettre la main dessus à nouveau.

Crispé, outré même de sa propre réaction, son confrère, pourtant sommé d’aller à l’encontre de ses intentions, s’exécuta contre toute attente, à commencer par la sienne. Bien qu’il batailla contre sa propre chair afin de ne pas obéir à son corps défendant, le col du lieutenant Bestag, après qu’il fut pourtant si malmené, fut impeccablement réinstallé en l’état.

- M… mais qu’est-ce que je fais ?! Persistait à s’offusquer un assaillant alors astreint à une docilité subite et irrésistible.

À chercher du soutien parmi ses ouailles qui, plus tôt, l’avaient acclamé pour son entrée en scène, Slake ne trouva finalement autour de lui que des Marines prostrés, le nez dans leur assiette, fuyant du regard une scène trop peu commode pour qu’ils s'y risquèrent. Cette curieuse et sinistre prestidigitation qui avait cours était une des innombrables raisons pour lesquelles personne ne pouvait trop souffrir le lieutenant Bestag ou même seulement se risquer à l’approcher.

Tant que tu y es, reprit Louis-Jin qui, avant de nouer ses mains dans son dos, avait prétentieusement dépoussiéré une épaulette de sa veste, va donc me chercher la bouteille de vin de sur ta table. Après ça, oublie pas de retourner à tes offices, t’as du boulot, fainéant. Et je veux pas t’entendre te plaindre ! ».

Comme si ce qu’on lui avait ordonné allait de soi, le lieutenant obtempéra sur le champ, les lèvres closes, bien que cherchant désespérément à les desceller dans des cris de rage étouffés. Sa démarche, saccadée et irrégulière dans le rythme de ses pas, le conduisit à sa table, ses camarades de tablée ne sachant trop quoi faire de lui, observant que leur supérieur se saisissait effectivement de la bouteille afin de l’apporter à L-J qui, aussitôt qu'elle lui fut offerte, s’en empara d’un mouvement sec et rapide.

S’il avait eu du vin à sa table, le bon lieutenant Slake, c’était par « compliment de la maison », alors qu’un clin d’œil de sa part en direction d'une cantinière avait amplement suffit à arracher l’ambroisie pourtant réservée aux officiers de hauts rang. Après qu’il eut livré la bouteille comme cela fut attendu de lui, un de ses subalternes, caporal à en juger ce qui reluisait le long de son épaule gauche, s’exclama :

- Il a un escargophone dans le dos !

- Je… je n’ai rien dans le dos, répéta pourtant le lieutenant alors que ses yeux enragés laissaient perler quelques larmes de furie.

La bouteille remise comme une offrande, l’infortuné officier reprit sa marche lourde et rigide pour retrouver ses pénates, ainsi que lui avait ordonné son confrère. À peine eut-il le dos tourné que, d’une vivacité peu commune, anxieux de nouveau, L-J s’empara de l’escargophone présumé pour le ranger prestement dans sa veste. De là même où l’on supposa qu’il l’avait extrait initialement.

-  On… on va se retourner dans les beaux quartiers, première classe, hein ? Assura-t-il en simulant la contenance, bien que débordant de fiel et de culpabilité ostensible après s'être fait presque pincé, à peine remis du choc d’une pourtant bien modeste empoignade.

Vittore, ainsi qu’il fut pris entre deux feux, gêné et ne sachant plus trop où se mettre suite à l’improbable altercation qui venait d’avoir lieu, se leva et obéît à son tour, ne sachant trop non plus ce dont il avait été le témoin. Sincèrement désolé pour le compte de son supérieur, il n’eut, comme seul remède au mal qui venait de s’orchestrer, qu’un signe de tête à adresser au caporal en guise d'excuse.
L’ayant pour sa part devancé dans le couloir, pétris de sa nervosité coutumière, cette fois agrémentée de fanfaronnade, Louis-Jin, tout à s’adressant au première classe bien qu’il se gargarisait de son orgueil en solitaire, pérorait sans grâce ni fierté.

T’as vu ça Victor ? L’autorité naturelle... le charisme ! Rien qu’au charisme je l’ai maté. Par… parfaitement. Clamait-il alors sans apparemment trop y croire lui-même, son sourire cauteleux et mal assuré ne traduisant que mieux son appréhension.

De retour dans leur antre après une retraite stratégique qui ne s’assuma pas comme telle, L-J, pour être un officier « sympa » et achever d’en persuader son subordonné, força alors ce dernier à boire le tribut obtenu aux suites de leurs pérégrinations cantinières. L’imaginaire populaire retenait en effet que l’alcool, sans trop que l’on sut très exactement pourquoi, était un ciment bien opportun pour nouer des amitiés. Le contexte, en réalité, pesait davantage que l’éthanol dès lors où il fallut s’adonner à la convivialité. Il n’empêcha que Louis-Jin intima l’ordre au matelot de boire en dépit que cela constitua une infraction au règlement.

Les godets s’étaient alors bien vite succédé les uns aux autres. Louis-Jin n’ayant fait que ruminer son succès d’estime durant près d’une heure, la voix déjà cassée après deux verres seulement.

- Tout… agade moiiiii, c’est… beuh.. c’est tout dans le regard que je te dis. QUOI ?! On… on m’attrape par le.. euh… col ? Moi ? Moi que je suis lieutmiral truc comme ça ?! Même pas. MAIS MÊME PAAAAAAAAS. J’y ai montré moi à… à l’autre là, avec… avec son succès avec ses matelots, là, qu’est aimé de tout le monde, j’suis pas jaloux, non… AH OUI ! BIEN MONTRÉ ! Là… là il sait qui c’est que c’est le chef. Moi. Moi ? Ah oui, moi ! Moi que je l’ai cheffé l’autre, à la voix  je l’ai maté. Et pis l’au… oula… l’autre, qu’est-ce qu’il la ramène, hein ? HEIN ?! Y’avait pas d’escargophone. T’as… t’as vu un escargophone, toi ?

Décidément trop honnête pour un jour pouvoir espérer monter en grade, Jean ne trouva à portée de ses lèvres que l’implacable et indéniable vérité à rapporter.

- Je crois bien en avoir vu un, lieutenant. Un qui avait un drôle d’air pour tout dire.

Jusque là dans un état second pour ne pas dire tertiaire, allongé qu’il était sur son bureau, son supérieur redressa la tête, s’essayant à un air sérieux. On eut cru qu’il chercha à le dompter du regard tant il plissa les yeux, apparemment persuadé de l’efficacité de son « charisme naturel ». Cela, bien que celui-ci opérait en principe par le biais de quelques artifices.

- Dis… dis donc pas de bêtise, objectait-il alors, la bouche véreuse de ses omissions, avant de dégainer la bouteille de nouveau.

Sans doute était-ce déjà la septième rasade qu’il versa au matelot, cette fois avec l’intention peu louable d’émousser les souvenirs du mousse.

- Re… reprends-y un peu de Jésus, ça t’aidera à y voir clair.

Érudit des choses de la transsubstantiation, Louis-Jin, sans réserve ni morale, blasphémait allègrement sans qu’il n’eut à forcer son vice. Ce n’était cependant pas une chose à faire en compagnie d’un dévot ; moins encore lorsque celui-ci, pour obéir aux ordres « sympas » dont il était la proie infortunée, avait presque écumé une bouteille à lui seul.

Techniques et équipements utilisés:
Jean Vittore

Feuille de personnage
Dôrikis :: 190
Renommée :: 0
Prime :: 0
Jean Vittore
Hier à 15:03
 Snails & Bibles - La convergence des catastrophes 4gu9
Jean n’avait jamais été un grand amateur d’alcool. Non seulement il n’en aimait pas le goût mais surtout, il savait ô combien cela pouvait s’avérer dangereux.

Et pourtant, là où jamais il n’aurait cru un jour se mettre la tête à l’envers, voilà qu’il était bel et bien en train de déroger à la règle stipulant de ne jamais boire en service. Encore une fois, c’était la faute de cet immonde Lieutenant Bestag, dont les insistances se traduisaient par des verres remplis à ras bord pour son subordonné.

Jean se sentait presque tourner de l’œil, cela faisait bien longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé dans un tel état, et malheureusement – ou heureusement selon l’appréciation – les vrais sentiments refaisaient surface. Cet odieux Lieutenant Bestag venait de blasphémer sans le moindre remords et Jean fut profondément irrité par cette énième bassesse de son « supérieur ». Sa dernière cuite avait beau remonter à il y a bien longtemps, il ne se souvenait pourtant pas d’avoir l’alcool mauvais, et encore moins violent. Pourtant, il sentait la colère lui piquer le bout du nez et ses nerfs se tendre comme une arbalète. Cela dit, il lui restait tout de même un peu de jugeote, suffisamment pour se rappeler quelle était sa situation. Louis-Jin Bestag, qu’il le veuille ou non, était son supérieur hiérarchique, et s’il voulait poursuivre sa noble carrière dans la grande mouette, Jean n’avait d’autre choix que de trouver un quelconque moyen pour apprécier sa compagnie.

Il accepta presque à contrecœur ce huitième verre. Presque, parce qu’entre les jugements qu’il portait à l’égard de son Lieutenant et sa morale de soldat et d’homme pieux qui s’en voulait de se comporter de la sorte, il ressentait un léger soulagement au fond de ses entrailles, un soulagement qu’il essayait tant bien que mal de chasser de ses pensées.

En fait, il méritait cette cuite. Depuis son départ de Logue Town et son engagement, il n’avait jamais eu l’occasion de se laisser aller, de respirer un peu. Son cœur était si lourd qu’il sentait son poids dans sa poitrine. Alors, Jean fit ce qu’il ne s’était jamais autorisé à faire : lâcher prise.

« …Oulah…Oulah…Tu…tu pleures Victor ? » Paniqua le Lieutenant Bestag, salement éméché lui aussi.

Pris au dépourvu, Bestag n’était de toute évidence pas à l’aise avec les réactions sincères d’un honnête homme et commença à s’agiter comme si la salle tout entière avait pris feu. Les mains sur la tête, tremblotant, le visage couvert de sueur, l’officier jeta des regards à droite et à gauche pour quémander de l’aide. Bien sûr il n’y avait personne, L-J était seul face à un homme soudainement en détresse et devait composer avec son manque cruel d’empathie. Il tâcha de se reprendre, jugeant qu’une telle réaction était indigne de l’officier modèle qu’il essayait tant bien que mal d’incarner.

Jean se leva de sa chaise brusquement et se tourna vers le Lieutenant Bestag avec une lenteur inquiétante. Ses pupilles avaient disparu et laissaient place à deux grands yeux blancs. Ses poils s’étaient hérissés, son front raccourci, ses sourcils serrés et deux veines saillantes lui pendaient au cou. Les poings noués, Jean avait perdu toute raison et était dressé comme une statue de marbre face à son supérieur. On vit poindre la colère par ses joues rosées et sa bouche grande ouverte.

« VOUS ALLEZ ARRÊTER D’ÊTRE MECHANT LIEUTENANT !!! »

Si le ton de sa voix et sa carrure n’étaient pas là pour attester de son âge, on aurait pu croire que ces mots venaient de sortir de la bouche d’un gamin. Le huitième verre avait fait effet – un peu trop – et pour la première fois depuis très longtemps, Jean avait cédé à la colère. Moins d’une heure passée avec le Lieutenant Bestag et c’en était déjà trop pour lui. Louis-Jin avait sans nul doute éveillé une nouvelle forme de haki, un haki répulsif, capable de faire sortir de leurs gonds les hommes les plus valeureux.

L’alcool et l’explosion de rage de Jean ne firent pas bon mélange, car soudainement, ils se changèrent en une panique incontrôlable. Le malheureux Vittore fut assailli d’innombrables souvenirs en quelques secondes, comme si quelqu’un s’amusait à tambouriner l’intérieur de son crâne avec une masse. Le visage de sa mère apparut comme un flash, puis des scènes morbides dont il avait été l’auteur, et rapidement il se retrouva dépassé par ses propres pensées. La peur le gagna et il se recroquevilla en grognant les deux mains plaquées sur la tête. Face à lui, Bestag fut tout aussi désarçonné que lui, mais pour d’autres raisons. D’abord il ne comprenait pas le moins du monde ce qui arrivait à son « cher » matelot – à juste titre – et surtout, il craignait de s’en prendre une dans le feu de l’action – à juste titre –.
Rongé par l’angoisse, Jean se sentit attaqué et recula de plusieurs pas en reversant tout sur son passage. Il hurlait à tue-tête tandis que ses coudes et son dos ravageaient le Bureau des Affaires Escargophoniques sous les yeux ébahis de son officier en charge.

« ARRÊTEZ !!! ARRÊTEZ !!! »

Ni lui-même ni Louis-Jin Bestag ne savaient réellement à qui il s’adressait, mais Jean ne cessait de crier à s’en déchirer la voix. Les escargophones volaient dans tous les sens, les meubles se retournaient ou s’écrasaient purement et simplement sous le poids de Jean et la cacophonie avait gagné la pièce. Incontrôlable, le matelot Vittore saccagea son nouveau lieu de travail jusqu’à ce qu’enfin, après que la moitié de ses escargophones furent renversés, le Lieutenant Bestag, tiré de sa stupeur, se décide à intervenir. L-J avait l’alcool mauvais – évidemment – et cela rendait son honnêteté d’autant plus saillante.

« Tu…tu vas ARRêter de foutre le bordel ‘spèce de groooooos…MACaqUE !! »

Sa voix, bien que colérique, était chevrotante, à cause du gramme d’alcool qu’il avait dans le sang que sa fragile constitution – pour ne pas dire « lâche » – peinait à supporter. Il se rua sur son subordonné d’un pas déséquilibré et bondit sur lui pour tenter de le renverser, mais Jean, les yeux toujours blancs, l’attrapa au vol par le col et les deux hommes se mirent à tourbillonner dans la pièce comme des danseuses étoiles. Vu de loin et sans le contexte, on aurait pu les confondre avec deux amants s’adonnant à une charmante valse. De près en revanche, les deux marines aboyaient des mots indéchiffrables et faisaient la toupie entre les documents et escargophones renversés et les meubles saccagés.

Soudain, on entendit toquer à la porte. Les coups étaient violents et prirent le pas sur le brouhaha à l’intérieur du B.A.E.

« Qu’est-ce que c’est que ce boucan encore ?! Lieutenant Bestag, ouvrez ! J’ai à vous parler de l’incident au réfectoire. »

Surpris par la voix de Zoune, les deux danseuses étoiles se stoppèrent brutalement dans leur représentation et s’écroulèrent lourdement. L’esprit totalement embrumé à cause des tourbillons et de l’alcool, les deux hommes gisaient au sol, quasiment amorphes. Jean voyait la lumière, littéralement, tandis que Bestag, éméché et apeuré, se demandait comment, dans un tel état, il allait pouvoir justifier quoi que ce soit au Colonel Zoune…
Louis-Jin Bestag

Feuille de personnage
Dôrikis :: 230
Renommée :: 0
Prime :: 0
Louis-Jin Bestag
Lieutenant
Aujourd'hui à 8:29
Une icone en 260 pixels de large et 100 pixels de haut de votre personnage ou votre jolyroger
On était officier supérieur ou on ne l’était pas. Sans doute car il fut auréolé de sa gloire, à moins qu’il ne s’agît des potentielles sanctions disciplinaires dont il était coutumier, le colonel Zoune avait fait si forte impression qu’il obtînt le silence sans même le requérir. Peut-être fut-ce à la grâce de la trouille qui lui assaillît si soudainement les tripes, peut-être était-ce dû à la force centrifuge dont il fit les frais après qu’il fut passé entre les pognes de son matelot de compagnie, le fait que Louis-Jin avait comme soudain dessaoulé. Pas affable pour un broque, affligeant comme à son habitude et à plat ventre au milieu de ses escargophones renversés, le lieutenant Bestag serra les dents à s’en faire sauter les molaires.
La visite était alors trop malvenue à son goût du fait des fragrances salement disciplinaires qui en exhalaient. Faire le mort n’aurait pas plaidé en sa faveur après le vacarme qui ponctua la chute brutale advenue un instant auparavant.

- Bien joué Jeannot, Pesta-t-il de toute son acidité à l’intention d’un troufion qui, allongé à côté de lui, avait pour l’heure des yeux aussi spiralés que l’étaient les coquilles environnantes, tu vas voir qu’on va se faire disputer avec tes saouleries !

« Disputer » avait été le verbe employé. On n’aurait trop su dire alors lequel des deux en présence, dans ce bureau saccagé, était le plus juvénile de par l’esprit. Cela, pour ne pas dire le plus immature.
Toujours à plat ventre – position de prédilection pour un rampant de son espèce – L-J crispa ses mains après qu’il les eut passées au milieu de ses cheveux fins. Il allait bien falloir lui répondre, à cet indésirable.

- Qu… quel incident au réfectoire, colonel ? Baratinait déjà le lieutenant d’un ton si faussement ingénu que c’en était indécent à écouter. On les a payés nos spaghettis. Ça oui ! Et puis rubis sur l’ongle, hein. Je suis un honnate homme, moi, vous croyez quoi.

Il était par ailleurs si versé dans l’honnêteté, ce bon garçon, qu’il ne parvenait pas même prononcer le mot « honnête » correctement. Car le mot, lorsqu’il lui sortait de la gorge, lui brûlait immanquablement la langue.
Du reste, aucun honnête homme dans l’histoire de l’honnêteté ne s’était jamais présenté en ces termes, car la qualité d’un honnête homme, par essence, devait témoigner de ses actes, et non de quelques boniments.

- MEEEeeEeNteur ! Avait alors émergé le première classe Vittore, toujours campé sur le dos. Elles étaient gratuites ! GratuIIiIIites ! Je sais touUUUuUut !

Sa harangue ainsi scandée, il se contorsionna laborieusement pour asséner un coup de poing venu s’écraser sur le dos de ce supérieur qui lui était inférieur en tout, ou presque.
Tandis qu’il entendit une vague agitation de derrière la porte qui le sépara du foutoir, le colonel Zoune, pour sa part, fut d'abord interpelé par la réponse qu’on lui avait fait parvenir. Au fond, il se maudissait d’avoir fait le déplacement, sachant pertinemment que chaque visite ou presque dans les Abîmes faisaient le lit d’une crise de nerf assurée. Toutefois, le lieutenant Bestag n’était accessible qu’à condition de se confronter à lui ; il ne faisait pas bon passer par l’intermédiaire des escargophones dont il était spécialiste afin de le contacter.

- Qu’est-ce que c’est que ces histoires de spaghettis encore ?… Se désola le colonel tout en se posant sincèrement la question pour ce que celle-ci avait d'intrigante. Je viens parce que les hommes du lieutenant Slake se sont plaints d’une altercation. Pourquoi diable faut-il toujours que j’intervienne chaque fois que vous sortiez de votre bouge ? Ouvrez !

Recouvrant de la douleur qui l’avait assailli aux lombaires, profitant que son matelot ronfla de nouveau après l’épreuve qu’il lui fit subir, L-J se dut d’agir au plus vite. S’il n’avait que peu de choses à faire valoir sur le plan de ses aptitudes, son sens compulsif de l’astuce et sa rouerie instinctive, lorsqu’il les associait à ses connaissances hélixiophoniques¹, donnaient lieu à quelques pernicieux miracles dont il avait l’odieux secret.
Paniqué, tâtonnant de ses mains et genoux le parquet jonché de feuilles volantes et autres ustensiles bordéliquement répartis, il cherchait quelque chose. Cela, jusqu’à ce qu’un semblant de sang froid ne lui éventa sa pétoche et qu’il sortit son Graal de l’intérieur de sa veste ; là d’où il sortait tant de malices.

Tandis que l’administrateur du Q.G persistait à tambouriner à la porte, Louis-Jin, en sueur, grimaçant les yeux exorbités et la bouche ouverte, composa frénétiquement toute une série de numéros sur son Spiko avant qu’il n’appuya sur le bouton central et doré, situé au beau milieu du cadran. Là, comme de concert, une symphonie improbable et inharmonique résonna en cacophonie. Les dizaines d’escargophones de la pièce, sollicités tous à la fois depuis le « Spiko » providentiel, y allèrent chacun de leurs « Puru puru ».
Faisant mine de décrocher l’un d’eux – ce qui revenait à se donner beaucoup de mal, du fait que le colonel ne le voyait pas – le lieutenant Bestag fit du mieux qu’il put pour avoir l’air professionnel.

- Bon sang colonel vous… vous entendez bien que je suis débordé ! A.. Allô ? Annonçait-il alors pour entamer une conversation dont il était à la fois locuteur et auditeur. Lieutenant Bestag à l’appareil. Comment ? Des pirates ? Cannibales en plus ? C'est pas de chance ça. Par milliers vous dites ? Il plaça ensuite le combiné sur sa poitrine, adressant le reste de ses mensonges en direction de la porte en bois qui le séparait d’une sanction. Non, là, colonel, je peux pas vous aider, c’est… c’est une question de vie ou de mort.

Légitimement surpris, car ayant effectivement entendu tous les gastropodes chanter lui aussi, le colonel, pour un peu, éprouva presque de la culpabilité. Lui qui, tout là-haut, logé dans son bureau, se figurait que le Bureau des Affaires Escargophoniques était une planque où le travail se savait aussi rare que la pluie à Alabasta, se dédit de ses jugements passés lorsqu’il ouït la symphonie. Peut-être, au fond, que ce lieutenant Bestag n’avait pas été ce fainéant atrabilaire qu’il avait toujours soupçonné d’être.
C’était en effet éminemment réducteur que de tenir cet homme-là au seul rang de fainéant, car outre cela il était aussi et surtout péteux, lâche, sournois, déloyal, intriguant, irresponsable, fuyant, cauteleux et d’une pleutrerie légendaire. Mais fainéant, ça, il ne l’était pas. On savait en effet le lieutenant Bestag capable de rivaliser de prouesses éreintantes pour ne pas avoir à se fatiguer. Ce qui, en soi, était d’une stupidité sans borne. Et cela tombait bien, car il était aussi notoirement stupide.

Le fait est que le colonel Zoune révisa son ire et tempéra ses élans hiérarchiques après qu’il eut présentement attesté du travail de son subordonné.

- Soit. S’était-il ravisé en éclaircissant sa gorge. Vous passerez dans mon bureau à 19 heures. Je vous convoquerai vous et le première classe avec le lieutenant Slake et le caporal Maquard. J’entends bien tirer au clair toute cette histoire. Et j’ose espérer, ajouta-t-il tandis qu’on l’entendit s’éloigner de la porte, que vous n’avez pas mêlé votre recrue à une de vos manigances. Le B.A.E, pour lui, c’est le dernier canot de sauvetage avant la quille, alors n’allez pas me le compromettre.

Ce n’est que lorsqu’il fut suffisamment éloigné, après que Louis-Jin, le visage déconfit, ait collé son oreille contre la porte afin d’attester de son départ, que le tintamarre à coquilles cessa sur simple pression d’un bouton. Après qu’il eut rangé son escargophone personnel à l’intérieur de sa veste et qu’il eut réarrangé celle-ci pour simuler la prestance à défaut de l’incarner, le sourire factice et ses yeux paniqués du lieutenant parurent lentement lavés par une coulée d’aigreur lui ayant progressivement dégueulé sur le visage. L’expression lâche avait alors lentement laissé place à une figure ombrageuse qui ne présagea rien de bon alors qu’il portait à présent le regard sur son subalterne.
Le gros rouquin, toujours aviné au sol, fut saisi au col et soulevé d’un centimètre ou deux à bout de bras par son supérieur. Ce dernier, les bras tremblants d’avoir à supporter le poids, affichait un grand sourire, venimeux et perfide, avec deux gouttes de sueur fielleuses constamment en embuscade au coin du visage.

- Alors comme ça je suis ta dernière chance, heeeeeeein ?

Dès lors où il se savait en position de force sur qui que ce soit, Louis-Jin n’était pas avare de propensions despotique. Dieu savait – et Poséidon tout au tant – qu’il ne faisait pas bon tomber sous sa dépendance en quelque occasion que ce soit. Il n’avait en effet aucun scrupule à tirer profit de toute situation à compter de l’instant où il le pouvait.
L’adage disait qu’un homme, ça se retient, que c’était là la réelle démonstration de la virilité. Or, Louis-Jin, avant d’être un homme, était un sale con. Ce seul trait de caractère le déterminait finalement mieux que ses chromosomes.

S’il était effectivement le seul être qui sépara Jean d’un potentiel renvoi de l’institution, L-J serait pour son subordonné l’équivalent d’une bouée crevée flottant au milieu d’ailerons fureteurs.

Ayant constaté que le matelot fut à moitié assoupi, à moins qu’il ne fut à demi réveillé, le singulier lieutenant tira péniblement la carcasse du costaud sous les yeux apathiques de ses escargophones qui, pour certains, ruminaient la salade que Louis-Jin cultivait à même le bureau. Lorsqu’il eut amené son subalterne là où il le désira, et une fois qu’il eut repris son souffle, L-J, en officier consciencieux, œuvra de sorte à se montrer secourable envers son second. À sa manière toutefois. Aussi ouvrit-il la fenêtre pour faire entrer un peu d’air frais.
À peu de choses près qu’ils se trouvaient près de dix mètres sous le niveau de la mer.

Une cascade déferla alors de par l’interstice aussitôt refermé par celui la même qui en avait un instant libéré les flots glacés. Il avait fallu au moins ça de versé sur la trogne du gaillard pour que celui-ci échappa à son tour aux emprises de l’éthanol.

- Ah… je.. *tousse*.. qu… Mais pourquoi ils ont mis une poignée à un hublot qui donne sous la mer ?!

Bien que l'interrogation fut d’une pertinence à l’épreuve des balles, le lieutenant l’éluda comme s’il y avait été sourd.

- C’est pas la question que tu devrais te poser.

Le matelot, requinqué et à présent assis en tailleur, tînt son large menton entre son pouce et son index afin de deviner quelle était exactement la bonne question à se poser.

- Comment on a pu nommer un type comme vous officier ?

- .... C’est pas non plus la bonne qu…

- Pourquoi est-ce que y'a noms féminins sur les archives des numéros escargophoniques qui sont entourés et certains rayés ?

- Alors… ça non plus c’est p…

- Personne vous aime ici en fait ?

Sévère mais juste… mais surtout sévère, Louis-Jin, car il se trouva vexé, abattit son poing sur le sommet du crâne de l’impertinent involontaire, celle-ci n’accusant alors pas autant le coup que les phalanges de l’agresseur.

- T’as fini, oui ?! Scanda L-Jd'un hurlement bref et susceptible. Qu’on m’aime ou pas – et crois-moi y’a… y’a des tas de gens qui m’adorent, des tas ! – c’est moi ta dernière chance. Alors si l’autre co...lonel fait un rapport après tes… tes histoires de spaghettis, là, tu retourneras chez papa-maman illico, et sans pension.

Il allait de soi qu’en cas de blâme, L-J prendrait un soin particulier à dévier la foudre sur son tout nouveau matelot. N’étaient-ce pas à ça que servaient les subalternes après tout ?
Ignorant tout de l’histoire de Jean, le perfide officier ne se doutait pas à quel point ce dernier n’était pas pressé de retrouver Logue Town. Le voyant cependant un peu abattu, assis qu’il était là sur le sol, en grand dadais contrit, Louis-Jin, alors qu’il lui devinait à présent une oreille réceptive, exposa alors la suite de son plan. Il avait toujours une intrigue en poche, jamais située très loin des escargophones qu’il dissimulait sur lui.

Qui aurait été témoin de la scène aurait alors pu la porter sur toile et l’intituler « Un dévôt se raccroche à la queue du Diable ».

Haletant de peu tandis qu’il projetait par avance ses méfaits, rendu louche de ses airs torves, avec ce sourire traître et son regard sans franchise, le « Diable » crispait ses doigts comme si le vice l’animait jusqu’au bout des ongles le temps qu’il médita sur leur situation.

- Tout ce qu’ils ont contre nous, les deux couillons, résumait-il alors, c’est leur témoignage et leur bonne foi ça vaut rien, ça. Il suffit juste qu’on les fasse changer d’avis.

Dit ainsi, les choses avaient l’air si simples.

- Enfin lieutenant…

Le première classe Vitttore, à peine avait-il pris la parole, s’interrompit soudain. Il s’était sans doute surpris à l’appeler « lieutenant », L-J lui paraissant alors davantage officier lorsqu’il prenait les devants ; quand bien était-ce pour attaquer par derrière. Le gaillard se reprit après deux secondes d’hésitation à l’avoir appelé ainsi et poursuivit ses remarques.

- ... ils vont pas changer leur témoignage comme ça. Ce qu’il faut, c’est se montrer honnête avec le colo…

Piqué au vif et horripilé d’avoir seulement entendu le mot en « h » prononcé dans son bureau, L-J lui plaqua immédiatement la main sur la bouche dont il ne couvrit pas toute la largeur. On trouva alors de l’appréhension dans son regard, comme si le seul mot « honnêteté » fit sur lui effet d’un puissant répulsif.

- Oh, Victor. Annonça-t-il sur un ton doucereux quoi qu’inquiétant. Victor, Victor, Victor… tu as tant à apprendre de moi.

Il était en effet certain que ce qu’il avait à lui enseigner n’avait jamais été inscrit dans un coin de Bible.
Le sournois personnage tendit à son matelot deux escargophones amorphes qu’il avait piochés autour de lui ; deux spécimens dont les pupilles étaient absentes des yeux et la coquille curieusement spiralée.

- Leçon numéro une : Tu vas jouer à « trouve les balances et colle-leur un Hypnoko dessus sans qu’ils y fassent gaffe »™ . Avait-il annoncé le visage hargneux et grotesque, avec un sourire qui tremblait de fiel et d’excitation. Tu vas voir, c’est très instructif. D’autant que c’est ça ou la quille.

Sous ses ordres, Jean se sentit sans doute moins subalterne que complice. N’eut-il pas porté l’uniforme, ce drôle de type penché sur lui, que jamais il ne se serait douté que ce qu’il avait en face de lui était estampillé Marine. Et c’était de lui que dépendrait sa carrière de justicier civil.

---

¹ . Hélixiophonique : relatif aux études des escargophones.

Possessions utilisées ou évoquées:
Contenu sponsorisé
Voir le sujet précédentVoir le sujet suivant
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum