[Fiche d'île] Brise-Grâce

Certains glosent sur Drum, le froid qu’il y fait notamment. D’autres, quant à eux, se sont déjà égarés à Brise-Grâce et se gaussent de tout ce qu’on aura pu dire des températures négatives. Brise-Grâce est en effet l’île réputée la plus froide au monde. Le Gouvernement Mondial avait jadis tenté d’investir les lieux pour y établir une colonie avant d’y renoncer tant l’investissement ne portait aucun fruit.
Pire que sur une terre aride, rien ne pousse à Brise-Grâce. L’herbe, les arbres, la faune en général ; rien ne prend jamais la peine de naître sur une terre rendue stérile sous la neige lourde et blanche. La chasse ? Aucun herbivore ne peut prospérer ici, encore moins leurs prédateurs. La pêche ? Dans une eau gelée où il faut y creuser à dix mètres de profondeur, l’entreprise s’avère hasardeuse. Le littoral de l’île, sur plusieurs centaines de mètres, est en effet gelé et, de toute manière, presque aucune espèce aquatique ne nages dans des eaux aussi froides.

Et pourtant, il se trouve une population pour subsister ici depuis des siècles. Ce qui tînt d’abord du mystère, après que des explorateurs rescapés de l’île contèrent leur périple, se rapporta alors au registre de l’horreur. À l’aide d’un système social astucieux quoi qu’infâme, un ordre a pu s’établir et prospérer ici grâce à l’organisation d’un cannibalisme rationalisé.

Les femmes, à Brise-Grâce, sont constamment enceintes. La fréquence de leur grossesse est telle qu’après de nombreuses générations, celles-ci sont à même de réduire une durée de gestation complète à trois mois à peine, engendrant à chaque accouchement une moyenne de trois enfants. Les filles sont conservées en vie à raison d’un spécimen sur cinq et seul un mâle sur cinquante est épargné pour servir ultérieurement de reproducteur. Du fait de ce système, Brise-Grâce aura rapidement évolué en une gynocratie implacable.

Pour mieux garnir le réservoir à viande, les escargophones sur place diffusent en continu à un appel de détresse dont on change le contenu une fois toutes les pleines lunes. On laisse entendre aux voyageurs égarés qu’une cargaison de riches marchands se serait piégée dans la glace et mendierait de l’aide. L’appeau, ainsi sifflé, attire chaque année pléthore de pirates cupides qui, une fois empêtrés dans le givre venu avaler leur embarcation, ne sont plus que du gibier en attente d’être chassé et cuit.

À Brise Grâce, il y fait si froid qu’on ne peut sortir hors des habitations que six heures par jour. Les lampes à huile et autres moyens de se chauffer sont alimentés à la graisse humaine. L’urbanisation – si tant est qu’elle puisse être qualifiée ainsi – est constituée de nombreux navires piégés des glaces ici et là, qu’on aura réaménagés en demeures. L’île, en elle-même, est en effet recouverte de glace à plus de 90 % de ce qui constitue sa surface.

Il est à noter qu’en dépit de l’horreur qu’inspire l’île à qui s’y sera un jour risqué, des révolutionnaires se seront essayés à une implantation sur place. Ceux-ci, en effet, nourrissent l’espoir de trouver un moyen d’alimenter la population sans qu’elle n’ait recours au cannibalisme. Un programme audacieux étant donné que ce mode de subsistance local a fondé jusqu’à l’ordre social ici établi. De quoi alors remettre en question toutes les traditions sur place ce qui, dès lors, ne peut qu’indisposer la gynocratie au pouvoir.

Ces révolutionnaires sont venus sur place avec le détenteur du Fruit de la Nourriture, pouvant transformer tout objet en denrée comestible. Mais ces sauveurs, parce qu’ils représentent une menace pour la gynocratie, sont traqués sans relâche et doivent se cacher pour survivre. Progressivement, lentement mais sûrement, la révolution cherche à convaincre des Brigraciens isolés du bienfondé de leur démarche. De quoi ainsi garnir leurs rangs et de grignoter progressivement les conscience jusqu’à faire basculer l’ordre social.

Il est à noter toutefois que cette présence révolutionnaire n’est pas motivée exclusivement par l’altruisme. Le fait que les femmes ici puissent engendrer une portée considérable en trois mois à peine aura intéressé les plus stratèges d’entre eux. Une telle arme démographique pourrait, selon le chef de l’expédition révolutionnaire « Donner naissance à des bataillons entiers » afin de lutter contre le Gouvernement Mondial.

Si à Brise-Grâce, rien n’y pousse, on y cultive cependant quelques espérances.